Tic Tac Tic Tac. Le générique commence sur le son d’une horloge. Le temps avance inlassablement, indifférent à tous les changements qui s’opèrent devant ses yeux. La musique retentit soudain. Inquiétante et impressionnante. Un logo apparaît derrière. Il change continuellement de forme jusqu'à enfin se fixer. En gros sur l'écran, avec des lettres de polices différentes, un nom : Loki.
Ce début sur un rythme de montre n’est pas un hasard. Le temps est constitutif de la série. Ce concept bien réel a été étudié de bout en bout. Parfois considéré comme la quatrième dimension, il est ce qui permet aux choses d’exister. La fiction n’hésite pas à se saisir de ce concept et à jouer avec. C’est notamment ce qu’explore la première saison de la série Marvel Loki.
La saison 1 a pour objectif d’installer le multivers dans l’imaginaire du public. A travers le personnage du dieu nordique, Marvel en profite pour explorer les différents concepts inhérents à leur univers multiple. En plus d’assommer un peu le spectateur, ils décident de tout bouleverser au fur et à mesure des épisodes. Le vrai créateur est découvert et même tué en fin de saison, laissant alors le multivers livré à lui-même.
La saison 2 de Loki reprend exactement où la saison 1 nous avait laissé : Loki est perdu dans un espace-temps inconnu et le multivers est en danger d’extinction. Mais cette saison met en avant une opposition nouvelle : science et fiction.
Il convient tout d’abord de nous questionner sur la science-fiction. Le Larousse la définit comme étant un “genre littéraire et cinématographique qui invente des mondes, des sociétés et des êtres situés dans des espaces-temps fictifs (souvent futurs), impliquant des sciences, des technologies et des situations radicalement différentes.”¹. L’écrivain Darko Suvin, dans Pour une poétique de la science-fiction la décrit de telle manière : “SF takes off from a fictional (‘literary’) hypothesis and develops it with extrapolating and totalizing (‘scientific’) rigor-in genre”². Si on suit donc cette définition, la SF part d’un élément fictionnel et le développe par des concepts scientifiques. C’est exactement ce que s’ingénie à faire la deuxième saison de Loki dans laquelle nous partons d’un élément fictionnel : le multivers, ici en danger. Des éléments scientifiques sont alors mis en avant pour remédier au problème ; les premiers étant le temps et sa manipulation visible grâce aux voyages à des époques différentes, dans le futur en 2077, le présent en 2012 ou le passé en 1893. La technologie est un autre élément participant à cet recherche scientifique, volontairement datée dans Loki, en référence à Brazil de Terry Gilliam et très présente dans cette saison 2 avec le nouveau personnage d’Ouroboros, incarné par le génial Ke Huy Quan, ainsi que la mécanique s’incarnant dans la construction de machines pour les sauver ou l’atelier rétro d’Ouroboros.
La science paraît donc au centre. Cette dernière étudie des faits, des phénomènes qui obéissent à des lois permanentes et inamovibles. Elle repose sur une certaine rigueur et est vérifiée par des expérimentations. Il faut raisonner et faire preuve de logique. Ainsi, nos héros vont d’abord explorer le problème, comprendre comment il fonctionne, pour pouvoir ensuite déduire un plan d’action. C’est ce qu’ils s’ingénient à faire pas à pas durant les 4 premiers épisodes, malgré les nombreux obstacles qu’ils vont rencontrer. Tout tourne autour de comment ça marche et comment on peut y remédier. A chaque problème sa solution logique. Le cœur multiversel a une capacité trop basse ? Agrandissons le. On ne peut pas accéder aux commandes sans l’aura de Celui qui demeure ? Allons chercher un variant en voyageant dans le temps.
La science s’incarne justement dans le personnage d’Ouroboros, introduit dans cette saison. Ingénieur et même en partie créateur de la TVA, il est celui qui va apporter les réponses aux questions. Son labo, mis en lumière différemment du reste de la TVA - en bleu alors que le reste est dans les orangés - marque bien ce côté unique du personnage. C’est lui qui va lancer la dynamique de toute la saison, devenant un personnage central autant pour l’intrigue que pour Loki. Il est celui qui explique ce qui se passe au spectateur. Dans un univers jusqu’ici un peu confus, Ouroboros semble tout savoir, même quand ce à quoi il assiste paraissait impossible. Il est ainsi la logique scientifique personnifiée mais aussi un certain côté fabuleux de la science, propre à une vision positive de la science-fiction, qu’on retrouvait par exemple chez Jules Verne.
La problématique de cette saison réside donc dans le fonctionnement du cœur multiversel (l’objet qui fusionne toutes les réalités en une réalité, celle du MCU) qui doit maintenant fusionner plus de réalités que celles prévues. La série se fait volontairement complexe, à tel point qu’elle peut perdre certains spectateurs en cours de route. Car pour ceux qui s'arrêteront avant l’épisode 5, la saison aura paru nettement inférieure à la précédente.
Mais ceci s’explique par le fait que Loki décide de pleinement embrasser son côté sériel : chaque épisode raconte une petite histoire qui apporte à chaque fois une pièce du puzzle à l’intrigue globale. Les 4 premiers épisodes explorent ainsi différents aspects scientifiques. Ici, la seule réponse possible est la scientifique. Ainsi, l’épisode 3, qui est en grande partie un épisode de remplissage, plonge nos héros en 1892 alors que la science n’est encore cantonnée qu’aux foires et farces et attrapes. Le personnage de Victor Timely, variant de Celui qui demeure (Loki Saison 1) ou de Kang (Ant Man et la Guêpe : Quantumania), est un scientifique à la sauvette qui construit des machines fantaisistes plus ou moins fonctionnelles. De cette manière, les scénaristes explorent l’origine même de la science.
L’épisode 4 est particulièrement parlant. Embrouillamini de concepts pseudo-scientifiques, cet épisode est le plus exigeant vis-à-vis du spectateur. Loki et ses compagnons développent pendant tout l’épisode une méthode scientifique pour empêcher l’extinction de tout. On assiste aux explications, à la construction et à la mise en œuvre de la machine qui devrait tout sauver, en plus de quelques péripéties. Pourtant, alors que tout semblait enfin gagné, cela échoue. Tout le monde regarde, impuissant, le coeur exploser et l’écran vire au blanc. Fin de l’épisode.
Mais la série est loin d’être finie puisque l’épisode 5 pose la question essentielle de la série, dès son titre : science / fiction. La séparation n’est pas mise là par hasard. Il y a bien une opposition entre le monde fictif et le monde scientifique dans Loki. Jusqu’ici, aucune des solutions scientifiques n’a fonctionné. Loki et ses amis ont fini démunis face à la destruction de tout après avoir abattu leur dernière carte. Pourtant, Loki s’obstine. Mais à nouveau, il fait face à un échec. Au dernier moment, alors que tout disparaît à nouveau sous ses yeux, Loki comprend le levier pour contrôler son pouvoir : ses émotions.
Car ce qui le pousse vraiment à agir comme il le fait, ce n’est pas un sentiment héroïque de sauver tout, geste noble et désintéressé qui n’est définitivement pas raccord avec le dieu de la fourberie. C’est bien pour sauver ses amis et pour pouvoir passer des moments avec eux, comme il lui a été permis tout le long de la série.
Par cette compréhension de ses motivations, Loki retrouve un pouvoir qu’il pensait perdu. Et relance ainsi l’intrigue sur le dernier épisode. Les mêmes interrogations se posent sur ce dernier épisode. Alors que le spectateur commence à comprendre où se situent réellement les enjeux, Loki semble vouloir forcer à tout prix son passage dans cet univers pseudo-scientifique. Allant d’échec en échec, Loki se rend définitivement compte de la solution en discutant avec ses amis. La réponse n’est pas scientifique. Advient alors le climax où, soudainement, Loki se lance seul dans le multivers en pleine destruction et le dompte, dans un apparent deus ex machina, pour le refaire à son image, l’arbre Yggdrasil, de la mythologie nordique.
Pourtant, ce deus ex machina n’en est pas exactement un. Loki n’évolue plus – et n’a d’ailleurs jamais évolué – dans un monde gouverné par la science, mais bien gouverné par la fiction. Or, les lois de la fiction sont très différentes de la science puisque la fiction se libère de toute loi fondamentale à suivre ou de logique inhérente. Elle est gouvernée par les personnages, ainsi que leur motivation ; il n’en va donc pas d’un simple principe formel.
C’est ce qu’explique le personnage d’Ouroboros dans l’épisode 5, alors dans une réalité alternative. Dans un renversement assez comique et pourtant pertinent, Ouroboros n’est ici qu’un simple écrivain raté. Jusqu’ici incarnation de la science, il devient alors l’incarnation de la fiction par sa compréhension de ses mécanismes et explicite le renversement de la série. Comme auparavant, il conserve le rôle de petit génie proposant les solutions, qui ne sont ici plus du même acabit. Face à un Loki pas encore prêt à accepter la vérité – dans le déni – , il explique tranquillement que les personnages de fiction avancent dans l’intrigue grâce à leurs émotions, leurs envies, leurs motivations. C’est cela qui les pousse à continuer, à changer, à faire avancer l’histoire. Il dit justement que ce qu’il faut comprendre pour pouvoir maîtriser son pouvoir, ce n’est pas le comment, mais le pourquoi. Pourquoi Loki possède-t-il ce pouvoir de voyage dans le temps et dans l’espace ? Car il est attaché émotionnellement à ses amis. Il en va de même pour la fin.
Ce qui permet à Loki ce déchaînement de pouvoir final n’est donc pas juste un fruit du hasard bienvenu. Non. C’est bien la finalisation de son développement sur les deux saisons. Loki a dépassé sa simple vision égoïste. Il a commencé à faire attention aux autres pour se rendre compte petit à petit qu’il se battait pour ses amis. En s’ouvrant aux autres à travers l’amour et l’amitié, il découvre de réelles motivations qui, sur les moments difficiles (voire dramatiques) vont lui permettre de réellement se surpasser. On pourrait croire que Loki cherchait à avoir un pouvoir infini en devenant ainsi le maître du Multivers. Mais il réalise un ultime sacrifice, dans un mouvement antithétique, où il sacrifie sa personne et la possibilité de revoir un jour ses amis afin de les sauver. En recentrant les enjeux à l’intérieur même de Loki, on se sépare pour de bon de la science. Les solutions sont devenues intérieures. Ce n’est plus dans un artifice technologique que Loki va trouver le remède, mais bien en lui-même. C’est dans la compréhension profonde de ses motivations que Loki va pouvoir résoudre la situation. La réponse n’est plus logique, mais personnelle.
Cet achèvement du développement de Loki se ressent aussi dans la musique composée par la nouvelle venue mais inventive Nathalie Holt. Le thème du héros, Loki Green Theme, issu de la saison 1, est menaçant, grave et principalement constitué d’une mélodie et de sons électroniques qui viennent habiller le tout et rappeler le côté très technologique de la série. Il réapparaît plusieurs fois durant la saison 2 mais toujours dans un style rappelant l’épisode. La fin de la saison 2 reprend ce thème dans History is Now, alors que Loki s’est sacrifié. Il apparaît alors, dans un morceau très synthé, dénué de tous les artifices électroniques. Avec cette piste, on découvre que Loki a réellement découvert qui il était, sans fioritures, et qu’il s’est développé en un autre homme, assumant finalement qui il est.
Dans un univers comme le MCU, placer Loki dans un univers de fiction est assurément une bonne idée. Ainsi, c’est bien tout le MCU qui est placé comme univers de fiction, poussé par des choses bien différentes que les lois physiques. De cette manière, les scénaristes replacent le spectateur à sa situation, qui regarde une série sur des personnages fictionnels.
Finalement, en instituant Loki et le MCU dans un univers de fiction, la série retombe habilement sur la définition même de science-fiction. Un monde fictif, comme nous l’a prouvée la fin de saison, explorée par de multiples concepts scientifiques. Elle va même plus loin, car les concepts scientifiques ne sont pas la réponse à la question, mais bien les concepts fictionnels. Une sorte de fiction-science-fiction. Tiens, une boucle.
¹ Larousse, Éditions. Définitions : science-fiction - Dictionnaire de français Larousse. https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/science-fiction/71469.
² Suvin Darko. 1972. On the poetics of the science fiction genre. College English, 34(3), 372–382. https://doi.org/10.2307/375141 [trad : La science- fiction part d’une hypothèse fictive et la développe avec une rigueur scientifique]
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