François Perrin (Pierre Richard), chômeur de longue date, décroche un travail de journaliste dans le journal France Hebdo appartenant au milliardaire Rambal-Cochet (Michel Bouquet). Heureux d’abord d’être engagé, il découvre petit à petit la tyrannie menée par Rambal Cochet sur ses employés. Alors qu’il est envoyé faire un reportage dans un magasin de jouets, le fils de Rambal Cochet – auquel on a promis d’offrir ce qu’il voulait dans le magasin – choisit Perrin comme jouet. Effrayé de perdre son emploi, Perrin accepte.
Sur ce postulat absurde se développe une comédie loufoque tournant autour d’interactions entre le petit garçon, pourri gâté et pourtant profondément délaissé par ses parents, et Perrin. Le film enchaîne alors différentes scènes comiques : course en voiture-jouet, cowboy et indien, déguisements… Tout y passe avec une fluidité impressionnante, qu’on accorde sans hésitation au talent de Pierre Richard.
Toutefois, le film va beaucoup plus loin que son postulat. Le film développe une critique sociale. Rambal-Cochet est le stéréotype même du patron qui abuse de son pouvoir : il renvoie un employé car il a les mains moites, il oblige un autre employé de parader nu dans l’entreprise, Perrin accepte même de devenir le Jouet de son fils pour ne pas être viré. Certain de son pouvoir, Rambal-Cochet ne recule devant rien. Mais la critique ne s’arrête pas au monde de l’entreprise. Dans une scène sidérante, Rambal-Cochet convainc toute une famille de lui vendre leur maison immédiatement pour une immense somme d’argent ! Ces différentes scènes, d’abord utilisées de manière comique, progressent vers un ton de plus en plus dénonciateur et alarmant, à l’image du patron qui arrive au repas d’entreprise et qui tire littéralement la table à lui et exige à tous ses employés de se déplacer.
Ce pouvoir ne va pas sans contrepartie pour Rambal-Cochet. Persuadé qu’il peut acheter l’amour de son fils, il le couvre de cadeaux mais ne fait aucune activité avec lui. Il délaisse la relation avec son fils au profit de son boulot. Plongé dans la vie de son entreprise, il ne prend jamais le temps d’être avec Eric. Or c’est une relation importante au développement d’un enfant. Les parents sont les premiers modèles de l’enfant et c’est avec eux qu’il crée ses souvenirs, mais aussi son caractère. De plus, issu d’un divorce, le petit Rambal-Cochet se sent seul chez son père, et ce ne sera pas la froideur de sa belle-mère qui parviendra à lui alléger l’esprit. Il devient alors insupportable, bruyant et colérique. Le film ajoute donc toute une dimension à ce qui aurait pu être juste une simple comédie et gagne ainsi en qualité.
Perrin arrive donc dans cette situation compliquée. Homme simple, honnête et quelque peu maladroit, sa confrontation avec le petit Eric est d’abord compliquée. Face à cet enfant très exigeant, François décide d’abord de le rejeter. Il demande plusieurs fois de partir et va effectivement le faire au milieu du film. Mais au fur et à mesure, une relation s’installe. François comprend que le comportement du petit garçon est dû à un sentiment de délaissement. Se faisant doux et compréhensif, François rentre dans les jeux du petit Eric. Se révèle alors tout le talent de Pierre Richard. Passant très rapidement de la comédie à l’émotion, peu de films auront aussi bien utilisé les capacités d’un Pierre Richard magistral.
Il invente alors un jeu avec Eric : dénoncer son père de manière détournée à travers un faux journal. Ainsi, Perrin, personnage récurrent dans les œuvres de Veber (au cinéma, Perrin était déjà apparu dans Le Grand Blond avec une chaussure noir et Le Retour du Grand Blond), devient acteur de son destin. D’habitude subissant des situations loufoques, il agit ici contre sa situation, incarnée par le très froid Rambal-Cochet. Par cette transformation de Perrin, Veber montre l’horreur de cette situation – qui reflète malheureusement de nombreuses situations de notre société – et que l’action est nécessaire pour changer les choses.
S’opposent ainsi dans le film deux visions, deux univers. D’un côté, le pouvoir, le monde très froid et terne de Rambal-Cochet. De l’autre, celui plus coloré ; qui se rattache à l’univers d’Eric ; plus doux, mais aussi plein d’indignation de Perrin. Cette opposition passe majoritairement par la mise en scène. À travers une mise en scène très parlante et réussie, Veber construit ses deux univers sur des décors et des couleurs opposés. Rambal-Cochet évolue dans un décor rempli de grands tableaux, de papier peint terne et de scènes de bureau quand Perrin évolue dans un décor rempli de jouets, de personnages hauts en couleur et de scènes franchement plus colorées.
Cette opposition n’est pas la seule à traverser le film. Le film, d’abord perçu comme une simple comédie, puis comme une critique sociale, comprend surtout un récit doux et sensible. C’est cette opposition, entre comédie et sensibilité, qu’illustre la musique de Vladimir Cosma. Commençant de manière très jazzy et sautillante, la musique prend petit à petit un côté plus lyrique, plus ample et plus calme avec l’arrivée des cordes. Sa méthode : imprimer d’abord sa petite mélodie dans la tête du spectateur pour pouvoir mieux la détourner après et amener ainsi le spectateur sur d’autres terrains. Il apporte de cette manière une autre dimension au film, nettement plus concentrée sur les sentiments et achève d’emmener le spectateur.
La fin, sommet de sensibilité, conclut parfaitement ces deux oppositions et place définitivement le film dans la comédie sensible et sociale.
Le Jouet est le premier film réalisé et scénarisé par Francis Veber, en 1976. Il est disponible en location sur les différentes plateformes.
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