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  • Photo du rédacteurPablo Del Rio

Furiosa : Une saga Mad Max - La contrebande du blockbuster

 

En 2015, la terre sortait quasiment de son orbite pour certains, si on regarde le fracas qui avait accueilli la sortie de Mad Max : Fury Road, renaissance de la saga postapocalyptique de George Miller. Avec la petite décennie de recul que l’on a aujourd’hui, on peut écrire sans trembler que le film a vraiment marqué de son empreinte le paysage du blockbuster mondial, et on peut légitimement penser que ce sera le cas encore à l’avenir. Miller était l’un des rares à réussir à combiner, superposer le grand spectacle avec une certaine recherche artistique que d’aucuns appellent le cinéma d’auteur. Relancer le débat film de divertissement versus film d’auteur n’est pas l’objet ici, mais force est de constater la bipolarité de Fury Road, qui ne demeure pas classable d’un côté ou de l’autre de ces acceptions de manière stricte.


Mais Miller ne se détachait pas d’un constat que l’on dresse de plus en plus sinistrement de l’industrie hollywoodienne : faire renaitre une saga, et donc se refuser à créer un nouvel univers. Le réalisateur développait tout de même sa forme entre temps avec un film remarquablement réussi, Trois Mille Ans à T’attendre, qui lui permettait de sortir de sa matrice sérielle. Ce n’était qu’un pas de côté momentané car le projet de spin-off à Mad Max était déjà lancé, sous la forme d’une préquelle centrée sur le personnage de Furiosa. Tant de vocables dont les définitions ne sont plus à donner tant le public est bassiné à ce genre de sorties, très fécondes pour des producteurs qui réduisent les risques. Le domaine boursier semble remplacer le domaine de l’art, mais passons. Miller décide de sauter à pieds joints dans un système que l’on espère il bouscule, comme il l’a déjà fait précédemment.


On mesure en fait la volonté du cinéaste et de ses équipes d’étendre son univers, de l’alimenter, de sorte à ce qu’il soit plus compact, complet. Alors que certains aimaient résumer son Fury Road à un aller-retour, il est question ici de faire de ce film un voyage multiple et polarisant. Démultiplier les forces, les acteurs de son film et les enjeux. Tout ça pour servir une cause : faire d’une légende le personnage qui se démarquait le plus du film de 2015, Furiosa. On peut déjà y déceler une strie que l’on remarque dans tout ce cinéma de divertissement américain. L’envie de massifier son histoire, d’épaissir un scénario. Cette fuite de la simplicité confère au film un statut, il peut en faire une publicité. Ceux qui le commenteront pourront en dire qu’il fait plus. Plus grand, plus loin. L’important n’est pas de faire tenir cette complexité pour servir un propos mais de s’en servir intrinsèquement comme un argument. Parce que si on décortique le film sur ce qu’il nous dit des relations de domination, il a une vision très bourgeoise de ces rapports. Cet aspect se caractérise dans la scène de face à face entre Immortan Joe et l’homme qui le défie en ses terres, Dementus. Les enjeux du film sont clairement explicités face caméra pour que que le spectateur ne s’y perdent pas. Cette scène illustre comment le film envisage la chose politique. Elle est une affaire de personnes, les fameux grands hommes de l’histoire. Ils manipulent les structures comme sur une plateforme vidéoludique. Les masses y sont absentes, représentées ailleurs dans le film comme une bande de gueux hystériques en haillons.


Ce n’est effectivement pas l’imagerie qui manque. Miller reconduit l’armada industrielle qui fait le sel de la saga. Malheureusement elle est assez peu renouvelée. Les concepteurs ont choisi la complaisance plutôt que la création. Seule la ville de Gas Town semble faire du neuf parmi les moteurs hurlants et les cheminées. Encore aurait-il fallu ne pas y passer uniquement en coup de vent. Globalement, la caméra de George Miller n’est pas du genre à s’attarder sur les choses, à contempler son monstre de métal. On se plie aux exigences des formes contemporaines de la saga. Il faut mettre à l’écran tout d’abord ce qui a été couché sur le papier auparavant. Cela donne une mise en scène purement utilitariste, qui fait signifier les choses plutôt que de les regarder.


Les hypothèses peuvent alors aller bon train sur le choix de ne pas faire figurer les scènes spectaculaires, dites « climax », à l’embouchures des « arcs narratifs ». Est-ce un renoncement, quand on sait que ce sont des moments qui nécessitent fatalement de s’attarder, a contrario de l’avancée narrative que prône tout le film ? Est-ce un subterfuge pour faire croire que l’on n’assiste pas à une vieille rengaine du divertissement ? Peu importe, le mal est fait et il se mesure concrètement. Lors d’une scène de combat qui promettait son lot de spectacle, d’expériences matérielles dingues, constituée par une chute en rafale de War Boys prêts à en découdre, les effets paraissent tous asphyxiés. Pas de bruit ni fureur, pas de gerbes, de cris. On entre dans la scène par le tapis rouge pour en sortir par la porte de service, comme si elle n’avait jamais existé. La fin est par ailleurs formelle. Miller ne veut pas achever une montée en tension par un affrontement prometteur, mais choisit de se concentrer sur son héroïne qui accomplit une vengeance tirant sur la longueur et s’achevant par reconnecter scénaristiquement Furiosa avec Fury Road. L’anti-spectacle a le mérite de sortir des sentiers mille fois battus mais ici affame le spectateur qui n’attend que ça pour le réveiller de sa léthargie, en vain.


Un film qui ne veut pas regarder le banal, se refuse à l’extraordinaire, ne déroule qu’un scénario est un film qui n’est pas mis en scène. Le diagnostic est sans appel, Furiosa n’est rien d’autre qu’un film de contrebande. Son emballage est parfait : un mariage consommé entre l’auteur et le blockbuster. Quand on l’ouvre, le cadeau est empoisonné : rien de plus que ce que l’on a vu tant de fois chez une certaine saga multiple composée de phases et de personnage interchangeables. Surprise : Furiosa partage avec cette saga un acteur bodybuildé qui ne cesse de se gausser, désamorçant toute tentative de faire autre chose que du « cinoche ». Aucune violence, il faut que toute la famille se déplace voir un film qui doit rentrer dans son budget. Il y a une recette, un cahier des charges qui empêchent le cinéaste de sortir des carcans et proposer une forme. Miller n’y est pas étranger, il pactise avec des producteurs sur les lignes à ne pas franchir. En attendant, il faut aller voir ailleurs pour voir des longs-métrages qui en tracent de nouvelles.

        

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