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Photo du rédacteurSnakier

Fumer fait tousser – Quentin Dupieux (2022)

Dernière mise à jour : 22 juin

 

Le temps est l’obsession du moment pour Quentin Dupieux. Fumer fait tousser, son 2ème film sorti cette année après Incroyable mais vrai, partage cette angoisse du temps avec son prédécesseur. Temps qui passe, et temps passé. Dans Incroyable mais vrai, le personnage de Léa Drucker est obnubilé par la vieillesse qui s’empare de son corps, et la découverte d’une trappe qui lui permettrait de rajeunir la fera courir à sa perte, 3 petits jours de rajeunissement aura pour conséquence 12h de saut dans le temps. Sacrifier le présent pour le passé, ce que l’on est pour ce que l’on était. Temps qui passe, et temps futur. Dans Incroyable mais vrai toujours, le futur n’est pas non plus des plus réjouissants, où transhumanisme rime avec absurde, où le personnage d’un Benoît Magimel hilarant ira jusqu’à se faire poser un pénis électronique. L’obsession d’un temps autre que le présent causera leur perte, et c’est au contraire lorsqu’on est en paix avec son présent que l’on profite.


Incroyables digressions mises à part, dans Fumer fait tousser le discours temporel est différent. Cette fois, l’angoisse vient de notre époque présente, où la mouvance des rapports hommes/femmes - l’excellent débat sur le mot « déréglée », ou la position des femmes dans un groupe commandé par un rat infect et libidineux – est un véritable questionnement pour des héros ancrés dans le passé. Angoisse également du désastre écologique bouleversant nos héros, à travers le récit de la petite fille, dont la contamination des eaux par déchets toxiques est une histoire plus terrifiante qu’un triple meurtre, ou ce monstre-insecte attaqué par la « Tabac Force » et mis à mort par les composants d’une cigarette, dans une scène drôle, outrancière et gore à souhait. Le point d’orgue de cette angoisse écologique de notre époque se trouve dans le climax du film, où le dernier plan machiavélique d’un éternel méchant ringard, Lézardman, est d’abréger les souffrances d’une planète à l’agonie ; et la seule manière pour nos héros de survivre est de se réfugier dans un passé plus sûr (« Changement d’époque : en cours »). 


Passé réconfortant à bien des égards, la Tabac Force est une parodie évidente des héros de sentai, ces séries japonaises pour enfant plus connues en France grâce à la franchise américaine qui s’en inspire, Power Rangers. Bien qu’il existe encore des sentai, la mode est clairement passée chez nous et ils représentent pour beaucoup d’entre nous une certaine idée de l’enfance des années 90. Ces héros, en parfait décalage avec notre époque, ne s’y reconnaissent plus vraiment. Autre décalage temporel, les deux robots qui les accompagnent, le premier d’une efficacité redoutable et définitivement ancré dans son époque, qui se suicidera pour être remplacé par un « nouveau modèle » pourtant bien moins réactif, utile, ou efficace, comme la technologie d’antan. Le suicide ou la destruction comme seuls remèdes d’une époque à l’agonie, et la cigarette comme seul remède à la dépression qui découle de la prise de conscience de sa propre mortalité. 


La cigarette est néfaste, tue, donne le cancer, chaque membre de la « Tabac Force » porte le nom d'un composant d’une cigarette (Nicotine, Benzène, Methanol, Ammoniaque et Mercure) et aucun ne s’entend vraiment avec un autre (remarques désobligeantes et coups bas sont légion), mais le tabac est vendu comme résolvant tous les problèmes du film. Si toxique qu’elle arrive à rendre malade un homme n’ayant plus qu’une bouche pour le maintenir en vie et dont sa seule envie consiste à tirer une taffe. Et lorsqu’un membre de la Tabac Force tente de mettre en garde un enfant, la seule raison qu’il trouve au fait de ne pas fumer est « Fumer, ça fait tousser », délicieuse ironie dirigée envers les campagnes de prévention basées sur des phrases chocs apposées sur les paquets de cigarettes... La cigarette, plus que jamais refuge psychologique quand la situation va mal, jusque dans la dernière scène, mélancolique à souhait. 


La particularité de Fumer fait tousser se situe dans ses pastilles, histoires racontées par des personnages du film, courts métrages insérés dans ce long. Elles permettent une variation de ton, notamment le premier avec le « casque à penser », lorgnant sur le thriller psychologique où l’on ne sait pas trop si c’est du lard ou du cochon, et sur le slasher avec notamment cette scène en vue subjective du casque, référence évidente au Halloween de John Carpenter. Premier récit acide sur l’aliénation causée par la société, où seule une solution sanglante permet de s’émanciper en tant que personne qui pense dans cette société qui s’abrutit. Saluons également la thèse délicieusement absurde du personnage de Grégoire Ludig sur le cinéma et la perspective, rapport évident aux prétextes que se donnent ceux qui désertent les salles pour préférer regarder les films chez eux. La troisième partie quant à elle reprend un ton volontairement absurde comme aux débuts de Dupieux, ici un homme réduit en bouillie dont seule la bouche subsiste mais qui « va bien », là où sa tante responsable de son état culpabilise. Se détacher du corps, simple enveloppe, pour se contenter de son esprit. Esprit instantanément intoxiqué par une simple taffe de cigarette. Soulignons également l’excellente trouvaille comique qui fait office de transition à la fin de cette troisième histoire racontée par un personnage plutôt inattendu. 


Bien au-delà de la simple comédie parodique et absurde, Fumer fait tousser s’avère être un film d’une grande richesse thématique captant avec subtilité bon nombre des angoisses de son auteur, prenant plus que jamais le pouls de notre époque pour en faire un constat acide. Une taffe d’air frais

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