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Photo du rédacteurArnaud Combe

Frances Ha de Greta Gerwig : les tourments de l'adulescence

 

Avec Frances Ha, Noah Baumbach et sa coscénariste et actrice Greta Gerwig brossent le portrait d’une adulescente toujours en fuite pour trouver sa juste place dans le monde. Sa vie de vingtenaire prend la forme d’un récit à la linéarité trouée, aussi déroutante dans son évolution que trépidante dans sa progression.

Si le film court souvent le risque de s’enferrer dans un système référentiel avec un lourd réseau de signes prélevés notamment à la Nouvelle Vague (les musiques de Georges Delerue et Jean Constantin, la balades à trois face caméra dans les rues parisiennes, écho à Bande à part...) et convoque également le spectre de Leos Carax avec la course du protagoniste au son du Modern Love de Bowie qui décalque celle de Denis Lavant dans Mauvais Sang, il parvient à être emporté par l’alacrité salvatrice de son actrice Greta Gerwig qui compose, à l'instar des héroïnes rhomériennes, un personnage immature et impulsif, mutin et vulnérable, en proie aux questionnements sociaux et affectifs de notre temps.


À la poursuite du bonheur


Alors que jusqu’ici, la géographie des films de Baumbach était sclérosée, Frances Ha, prend le contre-pied de cette délimitation en ouvrant continuellement des brèches spatiales dans un New-York en noir et blanc qui n’est pas sans rappeler celui de Woody Allen dans Manhattan, en contrepoint à la contemporanéité du récit.


Perpétuellement ballottée d’adresse en adresse (qui structure les chapitres du film), de Chinatown à Brooklyn, de Paris à Sacramento, l’apprentie danseuse Frances vagabonde et ne parvient à trouver une place ni dans la mégapole ni dans sa vie lorsque sa meilleure amie Sophie, avec qui elle partageait un logement, décide de s’installer avec son futur mari. Chaque étape dans la mue de Frances constitue autant de stases qui l’éloignera davantage de ses illusions et la conduira dans une descente vers la dépossession de l’amour, du travail et du logement. Les différentes adresses du film sont aussi le moyen pour Baumbach de cartographier le milieu bohème new-yorkais avec un lyrisme à la fois drôle et enlevé.


La danse apparaît moins comme l’aspiration à une émancipation individuelle pour le personnage que comme la métaphore de son arrachement perpétuel. Noah Baumbach chorégraphie une mise en scène jalonnée d’ellipses et de ruptures rythmique toute godardienne qui fait vaciller le point de graviter de son personnage. Si Frances tente d’avoir les pieds sur terre, son corps, dégingandé, est constamment pris dans un mouvement centrifuge et dans une apesanteur, sans jamais trouver un point d’équilibre. En témoigne cette scène lorsque Frances se précipite dans les rues de New York pour aller retirer de l’argent et lutte péniblement pour maintenir son équilibre, avant de chuter misérablement.

Cette New-Yorkaise de 27 ans peine à s’accomplir professionnellement comme danseuse en acceptant des rôles de doublure pour tenter de joindre les deux bouts. Ses déménagements répétés dessinent des nouveaux modes de vie aussi précaires les uns que les autres et nourrissent un sentiment d’instabilité profonde. De cet écart perpétuel entre l’ici et l’ailleurs, la contrainte et la possibilité, naît un gouffre qui engloutit peu à peu le personnage. Ses multiples courses le long du film impriment un double rythme ; elles apparaissent à la fois comme un échappé permettant au personnage de fuir ses propres responsabilités et comme un affaissement vers une solitude où le burlesque de Frances réside dans sa capacité à trouver mutinement un rebond pour masquer ses inquiétudes. Ce double mouvement fait chanceler la tonalité même du film qui oscille tantôt entre un aspect mélodramatique d’une aspirante danseuse au bord de la dépression et son pendant comique provoqué par le personnage pour tenter de s’en échapper.


Modern Love


Si Frances demeure un être profondément déraciné qui ne parvient jamais à s’envoler de sa chrysalide adolescente, elle est aussi une personnalité inachevée comme son nom le laisse deviner. Frances ne s’appelle pas Ha mais Halladay. Sur l’étiquette de sa dernière boite aux lettres, elle n’a pas la place suffisante pour inscrire son patronyme en entier. Son nom, moins long à écrire, n’est pas plus léger à porter. Il est à l’image de sa vie ; une femme qui se vit comme une personne incomplète et qui avoue à son ami : “Je ne suis pas encore une vraie personne”.


Peut-être serait-elle plus achevée lorsqu’elle connaîtra l’amour ? Car jusqu’ici Frances ne connaît de relations sentimentales qu’intermittentes, ce qui lui vaut d’ailleurs les railleries de son ami Benji qui la surnomme undateable (l’incasable). Son cœur, elle préfère l’investir dans sa relation avec sa meilleure amie, Sophie. En écho aux tendances contemporaines qui battent en brèche les modèles traditionnels de l’amour romantique au profit de relations amicales, Frances Ha prend le pouls du nouveau trouble dans le genre des affects. Il véhicule

une vision de l’amitié comme un lien structurant et comme pilier centrale de la vie affective qui préserve notre héroïne de l’abîme. Certes Frances se complaît dans sa solitude, mais elle retrouve le sourire dans l’horizon radieux de l’amitié.

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