Avant-dernier jour du festival Lumière. La fatigue est toujours présente mais je tiens bon et les films visionnés semblent toujours aussi bons que les précédents.
Barberousse d’Akira Kurosawa (1965)
Barberousse marque le début de la fin de la filmographie d’Akira Kurosawa. Le célèbre réalisateur japonais fera encore sept films après celui-là mais seulement après une pause de cinq ans. C’est aussi son dernier film avec son acteur fétiche Toshiro Mifune et son dernier film produit par la Toho.
Adapté d’un recueil de nouvelles de Shuguro Yamamoto, le film suit un jeune médecin du XIXème siècle, Noboru Yasumoto, ambitieux et fraîchement diplômé qui se retrouve à exercer malgré lui dans un dispensaire rural dirigé par Barberousse. Ce dernier est un médecin austère et respecté qui sera le maître de Noboru Yasumoto. A son contact, le jeune médecin découvre l’humanité et la compassion de Barberousse auprès de ses patients, de leurs proches mais aussi des pauvres.
Le film est monté comme une succession de petites histoires autour de ce dispensaire et des patients. Il y a quand même un fil rouge autour de ce jeune médecin qui doit apprendre au contact de Barberousse. De plus, il y a une évolution dans la succession des histoires où l’humanité du personnage principal grandit au fur et à mesure. Le personnage de Barberousse, interprété par un superbe Toshiro Mifune, qui sera d’ailleurs récompensé à la Mostra de Venise 1965, est un être humain rempli de compassion et d’humanité malgré son physique bourru. C’est le genre de personnage que j’aime beaucoup pour ce qu’il représente : un personnage ayant des convictions sociales et humaines et il se bat pour ça. C’est également un film qui porte une réflexion sur la médecine et comment la société est formatée pour que le bon médecin soit celui qui a les diplômes prestigieux en plus de la technique. Barberousse est non seulement un bon médecin mais fait preuve d’humanité en soignant tout le monde, même ceux ne pouvant pas payer. Il n’hésite pas à payer de sa poche une location pour la famille d’un de ses patients, ou bien à en venir aux mains pour sauver une enfant d’un bordel (puis de soigner ses assaillants). Il y a enfin tout un aspect maître-élève que j’aime bien dans le film. Le jeune médecin apprend par l’expérience qu’il vit au dispensaire, et Barberousse montre l’exemple. Il y a quelque chose de très zen dans ce procédé. C’est par ailleurs quelque chose qu’on retrouve dans la scène violente du film où Barberousse s’exclame qu’il n’aurait pas dû perdre son sang-froid et rester calme. Cette philosophie de l’apprentissage dans le film m’a marqué et me plait bien.
La mise en scène de Kurosawa est toujours extraordinaire et avec une composition du mouvement que j’apprécie particulièrement. Il fallait bien deux ans de tournage pour en arriver là. C’est un tournage très ambitieux durant lequel Kurosawa, perfectionniste à l’extrême, souhaite de vrai décor d’époque, si bien qu’une ville entière est construite, mais dont une partie ne sera même jamais filmée. Les matériaux utilisés proviennent de bâtiments ayant un siècle. Les costumes subissent le même procédé et sont vieillis pendant des mois avant d’être utilisés. Le perfectionnisme du réalisateur japonais atteint son apogée quand on apprend qu’il souhaitait attendre qu’il pleuve ou qu’il neige pour les scènes où cela était requis. Aucune machine à pluie ou à neige ne fut utilisée et les éléments météorologiques qu’on aperçoit à l’écran sont réels.
C’est donc un tournage extrêmement ambitieux, long et cher. On est, en plus, à une époque où les studios de productions ne souhaitent plus faire ce genre de film historique, pour des raisons de coûts mais aussi de popularité. En effet, en 1965, la Nouvelle vague japonaise a débuté depuis 5 ans et montre au studio qu’on peut faire des films contemporains pour moins cher. Le public a également changé, il est notamment plus jeune et n’est plus intéressé par Kurosawa ou Mifune qui sont alors des figures vieillissantes. Ajoutons à cela, la démocratisation de la télévision et nous obtenons un changement drastique de comment faire du cinéma. Barberousse est quand même un succès au box-office japonais mais c’est la fin d’une ère. Kurosawa ne travaillera plus avec Mifune, ni avec la Toho et le système de production sera différent.
Film ambitieux et rempli d’humanité, Barberousse est un film charnière chez Kurosawa. D’une durée de trois heures, je ne les ai pas vu passer, tellement j’étais subjugué par la mise en scène du maître japonais. Son personnage de Barberousse, si peu présent à l’écran bien que le film porte son nom, m’a marqué par son humanisme et son empathie envers les autres. Il est un exemple à suivre pour un monde plus juste et plus beau malgré les maladies et la mort qui accompagnent son quotidien. Pour finir, j’aimerai citer le critique américain Robert Ebert qui disait de Barberousse en 1969 : « Barberousse d'Akira Kurosawa est assemblé avec la complexité et la profondeur d'un bon roman du 19ème siècle, et c'est un plaisir, à une époque de films stylistiquement fragmentés, de regarder un réalisateur prendre le temps de développer pleinement ses personnages ». Ces mots résument parfaitement bien ce qu’est Barberousse d’Akira Kurosawa.
Un tramway nommé désir d’Elia Kazan (1951)
Après avoir mis en scène au théâtre la pièce éponyme de Tennessee Williams, le réalisateur Elia Kazan réalise le film Un tramway nommé désir, en reprenant quasi l’entièreté du casting de la pièce. Une exception : Vivien Leigh, qui marquera le film par son interprétation.
Le film raconte l’histoire de Blanche DuBois qui rejoint sa sœur à la Nouvelle-Orléans. Cette dernière est mariée à Stanley, joué par Marlon Brando, qui va vite rentrer en conflit avec Blanche et chercher à déterrer le passé de cette dernière.
Pour commencer, Elia Kazan a une superbe mise en scène avec une lumière magnifique jouant, au fur et à mesure que le film avance, avec le clair-obscur. Les interprètes sont incroyables. Marlon Brando, qui deviendra un sex-symbol après le film, vit son rôle et il y a quelque chose chez lui de vraiment animal, comme le personnage de Stanley. Il faut dire aussi qu’il vient de l’Actors Studio, un atelier co-fondé par Elia Kazan dans lequel les acteurs viennent perfectionner leurs talents. L’Actors Studio est essentiellement connu pour « La Méthode » qui consiste à ne plus jouer un personnage mais à devenir ce personnage et ainsi obtenir un jeu plus habité. Le meilleur exemple est dans ce film avec un Brando vraiment excellent et terrifiant. Cependant, celle qui crève l’écran, c’est bien Vivien Leigh. Son interprétation de Blanche DuBois lui vaut son deuxième Oscar et habite l’histoire du cinéma. Elle est parfaite dans ce personnage, au début très maniéré, mais qui se révèle au fur et à mesure du film dans un autre registre. Nos émotions face à Blanche DuBois varient comme trop rarement face à une interprétation. Et ainsi nous passons de la peur à la pitié en passant par l’incompréhension de ce personnage. C’est un rôle dur, difficile, qui a accentué la maladie psychologique de l’actrice et qui lui offre son plus grand moment de cinéma.
Un tramway nommé désir aborde beaucoup de thèmes, notamment sexuels. C’est ainsi l’un des premiers films d’Hollywood a abordé les thèmes de pulsion et de désir sexuels. Mais c’est aussi un film sur l’illusion du bonheur. Blanche DuBois s’évade dans ses divagations irréelles pour échapper à la réalité violente. Sa sœur est écrasée par une emprise masculine et patriarcale mais qu’on passe sous silence pour continuer l’illusion du bonheur familial. Le film aborde des thèmes sombres et durs de la société. On est frappé par la modernité de ces thèmes, autant que par le clair-obscur d’Elia Kazan.
Un tramway nommé désir est un film dur, sombre et important. Sa mise en scène fusionne avec les thèmes du film et évite la théâtralité. Elia Kazan, avec Un tramway nommé désir, a créé un véritable film pour le cinéma et marque grâce aux talents de ses acteurs l’histoire du cinéma.
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