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Photo du rédacteurColin Mougenet

L'angélus des ogres - Laurent Pépin

 

S’agit-il au fond d’un conte dont l’imaginaire s’abreuve aux confins de la folie ou un drame psychiatrique qui emprunte aux figures de conte afin de se délester d’une part du réel et de ses ravages ? Voici la question que se pose Laurent Pépin dans son dernier livre L'Angélus des Ogres.


Le premier élément qui saute au visage à la lecture de ce roman est le vocabulaire. Dès les premières phrases, le lecteur est plongé dans un univers unique. Il est directement projeté dans un entre-deux lorsque l’auteur mélange des mots à l’aura fantaisiste à des mots scientifiques. Est-il en train de lire un livre sur la psychiatrie ou sur des contes ? De plus, ce lexique pousse le lecteur à se poser des questions. Quand certains mots peuvent être déchiffrables, d’autres sont franchement mystérieux. Cette ambivalence dans le lexique est conservée durant toute l’histoire et le dosage de l’un par rapport à l’autre permet au lecteur de réfléchir à ce qui est la réalité et ce qui ne l’est pas. Laurent Pépin n’est définitivement pas clément avec son lecteur. En lui faisant autant confiance, il risque d’en perdre quelques-uns en chemin. Le travail autour des mots nécessite une réflexion constante et peut en rebuter quelques-uns. 


Le vocabulaire n’est pas le seul à se situer dans cet entre-deux. Comme nous suivons le point de vue du personnage principal, tout est déformé. Ainsi, le lectorat n’a jamais réellement conscience de ce qui est réel, et de ce qui ne l’est pas. Les révélations sont nombreuses, mais le lecteur ne sait jamais si ces informations sont utiles ou pas. Il en va notamment des trois derniers chapitres. Alors que le drame se déroule, nous avons soudainement le droit à un flash-back. Et alors que l’intrigue revient au présent, des événements importants sont advenus entre-temps et c’est à nouveau au lecteur de réfléchir à ce qui a pu se passer. Cette ambivalence constante n’est pas anodine. Elle porte même le message du livre.


Le roman emprunte de nombreux éléments au conte. Nous l’avons vu avec le vocabulaire. Cela vient aussi du personnage principal qui utilise le conte comme intermédiaire pour gérer ses traumatismes en société. En ressort certaines scènes irréelles avec un vrai travail sur l’ambiance qui passe par l’utilisation d’images distordues et surréalistes. Mais ce n’est pas le narrateur qui est accusé de se réfugier dans un autre monde. Au contraire, la société est vue comme uniformisatrice. Tout le monde devrait penser pareil et les marginaux doivent être mis dans le rang. Tout le monde devrait vivre la même histoire, selon le même point de vue et penser de la même manière. Les marginaux, ceux qui pensent en dehors des cases, sont jugés fous et enfermés dans les centres psychiatriques qui doivent filtrer la pensée. La liberté se trouverait donc dans la pensée, en dehors des cases, dans l’imagination et les histoires. 


Ainsi, en nous poussant à réfléchir à la réalité du roman, en nous encourageant à constamment réfléchir à ce que nous lisons, l’auteur nous dit de penser différemment. Il montre que pour comprendre l’histoire, il faut accepter de ne pas tout comprendre et songer à ce qu'est la réalité. En nous incitant à étudier la réalité de l’histoire, il exhorte son lectorat à reconsidérer notre réalité et notre manière de la voir, de l’interpréter.


Laurent Pépin ne se contente pas de cela. Il représente directement les pensionnaires de la clinique comme des grands poètes quand les personnes “normales” sont vues comme des personnes effacées. Pour réellement vivre, il faudrait donc penser différemment. L’écrivain nous conseille donc de rêver, d’imaginer et de nous raconter des histoires pour pouvoir pleinement vivre.


Mais la critique de la société va encore plus loin. Affirmée dès le début du livre, la critique se renforce alors que l’intrigue se déroule. Le ton devient progressivement plus sombre et se fait plus désabusé. Cela est notamment avancé par des sonorités assez rêches et des mots crus. Mais avant de se pencher sur le drame sous-jacent, il est intéressant de se pencher sur la lumière centrale de ce roman : la relation amoureuse entre nos deux personnages principaux. 


En effet, malgré un ton sombre, l’histoire d’amour prend une grande place dans le roman. Tous les deux fous à leur manière (le personnage principal est hanté par les traumas de son enfance, mais aussi un trauma récent provoqué par sa folie quand Lucy est anorexique, a un double maléfique qui se réveille pendant la nuit et est traumatisé par la perte de son enfant alors qu’il était encore au stade de fœtus), les deux tourtereaux arrivent toutefois à trouver un terrain d’entente pendant un temps. La romance est d’abord assez belle, deux personnes brisées par la vie se trouvent et commencent à partager quelque chose. 


Mais les folies se mêlant, chacun plonge un peu plus dans la démence de l’autre et découvre plus de choses qu’il ne l’aurait voulu. Le personnage principal en vient à refuser de lui révéler la cause de son dernier trauma. Ainsi, il condamne cette relation qui ne fait plus que dériver vers une fin tragique inéluctable. Mais alors que cette fissure s’accroît au fur et à mesure que l’histoire se suit, le drame est en fait présent depuis beaucoup plus longtemps.


La mort est omniprésente. Elle obsède Lucy depuis la perte de son enfant. Elle est également un élément essentiel des traumas du personnage principal. Quelques scènes marquent par leur horreur, glaçant le sang du lecteur par la simple force des mots. En annonçant dès le début le tragique de l’histoire, l’écrivain introduit ainsi la suite de sa critique de la société. 


Car bien qu’il nous conseille de rêver et de penser en dehors des cases, il constate aussi l’impossibilité de cette marginalité. En représentant ces fous qui se dirigent inlassablement vers un drame, Pépin prouve que la société ne tolère aucun pas de côté et qu’elle punit sévèrement ceux qui osent dévier. En témoigne cette fin tragique qui achève, suivant l’ambition de Laurent Pépin, de faire du livre un roman désabusé. La scène finale — à l’inspiration polaresque —  réutilise le concept d’histoire mais ici dans un registre davantage déchirant. 



Au final, il est difficile de répondre à la question que pose le synopsis. Car dans son mouvement de double sens, Pépin laisse libre chaque lecteur d’interpréter comme il l’entend l’histoire qui se déroule sous ses yeux. À travers un travail soutenu sur l’écriture et l’ambiance, Laurent Pépin nous offre un roman unique, qui n’hésite pas à mélanger les genres et qui ne laisse pas indifférent. 




Merci à Laurent Pépin et aux éditions Fables Fertiles pour l'envoi de ce livre !

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