Terrifier aurait pu être une nouvelle création racoleuse de mauvais films d’horreurs profitant de ce drôle de phénomène apparu depuis plusieurs années maintenant : la peur collective des clowns. Cela aurait pu être une franchise cynique de films indigents réalisés à la pelle sans envie et des simples produits marchands. Et c’est ce que l’on peut facilement penser si l’on ne s’arrête qu’aux apparences et aux gif rigolos que l’on peut voir sur les réseaux sociaux.
Mais derrière, il y a un véritable artiste. Il a son idée pour son monstre, il la peaufine, la travaille depuis des années. Il écrit, réalise et monte ses films et devient à chaque fois un meilleur cinéaste. Damien Leone est quelqu’un qui vient en premier lieu des effets spéciaux et du maquillage. Ce point de départ est important à souligner. L’une des plus belles choses de cette franchise est le soin apporté à ceux-ci. Ses films laissent la part belle aux effets pratiques, au “vrai faux” sang, ça tâche, ça asperge, ça coupe, ça explose. Les corps humains que son clown prend plaisir à massacrer deviennent palpables et la souffrance réelle.
Il fait fi des poncifs ronflants de cette tendance appelée “elevated horror” pour revenir aux fondamentaux. Terrifier ne fait pas dans l’horreur psychologisante. Leone n’a pas en tête de vouloir se légitimer et “faire du cinéma” en y amenant une fausse noblesse. Il fait du gore qui tâche et le fait bien. C’est quelque chose qui s’est perdu depuis plusieurs années, parfois à raison vue la qualité des films de la tendance des torture porn des années 2000.
C’est une idée de longue date qui a germé et grandi depuis 2008 dans la tête de Damien Leone. Art le clown apparaît une première fois dans un court-métrage de onze minutes intitulé The 9th circle. C’est basique et clairement fait avec trois bouts de ficelles. On y voit Art le clown terroriser, attaquer et envoyer en enfer une pauvre victime qui avait le malheur de se trouver là. Il y a déjà ce qui fait la singularité du personnage : c’est un mime. Il n’émet jamais le moindre son et ne prononce aucune parole. Il n’a pas les jacasseries incessantes de Freddy Krueger ni la respiration inquiétante de Michael Myers, mais des expressions faciales disproportionnées et des éclats de rires muets.
Terrifier, premiers méfaits encourageants
Le premier long métrage de la franchise sort en 2016 avec un budget de 35 000$ récoltés à la suite d’un financement participatif. Nous suivons Art le clown qui tue tous ceux qui ont le malheur de croiser sa route. Mike Giannelli cède sa place sous le costume à David Howard Thornton qui va vraiment donner toute son aura au clown.
Il en résulte un film très imparfait dû en partie du manque de budget. Quand bien même Damien Leone parvient à rendre son film crédible en réussissant les scènes de meurtre et son personnage. Cependant, de nombreuses lacunes d’écriture donnent au métrage des relents pas toujours très agréables, notamment sur le traitement de ses personnages féminins, qui, gimmick du genre certes mais cela n’excuse pas tout, ne sont pas écrites du tout, sont juste des objets sexualisés et de la chair à canon pour Art le clown. Les problèmes de rythme sont aussi nombreux et donnent l’impression d’un court-métrage rallongé artificiellement pour faire 1h20.
Le film a tout de même beaucoup de choses pour lui. Son monstre génial, son ambiance crade et ses décors d’une Amérique vide la nuit et tout de même déjà de bonnes idées de montage, donnent au spectateur l’envie de poursuivre l’expérience.
Terrifier 2, essai transformé et grand film
Sorti en 2023 avec un budget de 250 000$, Terrifier 2 est un film d’un tout autre calibre. Nous retrouvons Art le clown un an après les événements du premier film. Pour fêter ce sinistre anniversaire, il va se remettre à massacrer des gens en se focalisant sur l’entourage de l’autre personnage principal de ce film : Sienna. En plus de son histoire simple, toute une mythologie et une aura sont travaillées autour du clown et de Sienna pour donner de l’épaisseur et de l’enjeu au cœur du film : les scènes de meurtres absolument jouissives, et grand guignolesques.
Avec ce film, Leone prend une tout autre envergure en tant que metteur en scène. Il corrige certains défauts, compense ses lacunes et propose un film d’horreur d’une générosité sans équivalent contemporain. Plusieurs coups de génie sont à mettre à son crédit dans ce film. Tout d’abord sur le montage. Il en ressort quelque chose de dérangeant, Art le clown semble exister dans son propre monde, avec son propre rythme et tempo. Cela relève soit du faux raccord involontairement brillant soit des idées de génie de Leone qui monte aussi le film. Il se dégage une sorte de double temporalité. Par exemple, la scène jubilatoire de la boutique où Art le clown s’amuse à “troller” Sienna, en jouant à prendre la pose avec diverses lunettes rigolotes. À un moment, il s’empare d’une crécelle. Un contre-champ se fait sur Sienna cherchant frénétiquement quelque chose dans son sac. Retour sur lui, nous entendons encore l’instrument mais il ne l’a plus en main. Il souffle dans une langue de belle-mère. Les deux sons s’entremêlent, mais l’image est différente, créant une dissonance qui peut passer inaperçu. Mais aux visionnages successifs, cela saute aux yeux.
L'autre coup de génie de ce film est sa durée. 2h18 pour un slasher gore c’est environ 1h de plus que les standards. C’est un pari osé qu’il remporte haut la main. Ici, les événements du film ne sont pas uniquement fonctionnels. Il s’autorise des digressions, des scènes qui n’ont pas de valeurs narratives, il étire l’action (le climax dure presque 40 min). Il développe ses personnages et leur donne du corps.
L’écriture des personnages féminins qui était un vrai point noir du premier film est ici corrigé. Sa “final girl”, amatrice de cosplay devient, au fur et à mesure du film, avec son costume qui aurait été de mauvais goût si elle ne l’avait porté qu’un quart d’heure, une sorte d’ange ressuscité revenant de l’enfer pour affronter le mal absolu.
Avec ce film sans fausse note, Damien Leone s’est affirmé comme un réalisateur à suivre dans le domaine de l’horreur.
Terrifier 3 : l’apogée de l’horreur
Sorti ce 9 octobre, le film va plus loin à tous les niveaux (tellement loin d’ailleurs qu’il a écopé d’une interdiction aux moins de dix-huit ans en France).
Narrativement déjà, ce film est une suite bien plus marquée que le deux par rapport au premier. Les rares personnages encore vivants reviennent, cette fois-ci cinq ans après. Nous retrouvons Sienna que nous avions quittée en héroïne guerrière terrassant le mal qui est redevenue très humaine. Après avoir vivoté d’un hôpital psychiatrique à un autre, elle part s’installer chez son oncle et sa tante aux alentours de Noël. Art le clown, en sommeil depuis tout ce temps, va se réveiller avec une acolyte issue du premier film pour de nouveau massacrer tous ceux qui vont croiser son chemin, avant que le duo ne se retrouve inévitablement.
Et justement, les massacres c’est la pièce centrale des films. Cela passe encore un cap de violence et de sadisme. Jamais Art le clown n’avait été aussi méchant. La scène d’ouverture en est un exemple parfait de brutalité. Ici Leone brise un tabou du cinéma et n’hésite pas à montrer des enfants se faire découper en morceaux par son monstre. Le film est ponctué de scènes plus sales les unes que les autres qui sont toujours parfaites dans leur exécution. C’est toujours inventif, drôle et toute la passion mise dedans crée un sentiment d’euphorie devant le film qui montre pourtant des choses insoutenables. La réussite de ces séquences tient aussi grâce à la performance de David Howard Thornton qui n’a jamais été aussi brillant dans son jeu et ses mimiques. La direction d’acteur est par ailleurs bien meilleure en général.
Le budget enfin convenable pour ce genre de projet embelli le film. La photographie qui était un réel point noir des deux autres films est ici bien plus travaillée, avec un grain assez joli. Ce qui ne change pas, c’est le montage tout aussi maîtrisé et la qualité des effets pratiques et maquillages.
Ce film est le plus abouti de son réalisateur et un chef-d’œuvre du genre.
All Hallow’s Eve, un intérêt a posteriori
Les courts-métrages des premières apparitions d’Art le clown sont regroupés dans un film à sketchs sorti en 2013 qui s’appelle All Hallow’s Eve. Ce n’est pas spécialement intéressant à voir avant les films, car les débuts de Leone en tant que metteur en scène se voient. Ce ne sont pas spécialement de bons courts. L’intérêt intervient après le visionnage des trois longs. Beaucoup d’idées y sont reprises, surtout dans Terrifier 2 et 3 mais en plus élaborées et créatives. Damien Leone conclura d’ailleurs le troisième film par une chaleureuse référence à The 9th circle.
L’avenir
Avant même la sortie du dernier opus, Terrifier 4 était déjà annoncé par son réalisateur et la fin du troisième ouvrait sur une suite. Si l'on peut craindre la surenchère comme il est de coutume avec les monstres de films d’horreurs, Damien Leone avait déclaré ne pas vouloir trop en faire avec sa franchise, et travaillant de manière indépendante, il n’aura, en théorie, pas d’injonctions à continuer. Tant qu’il aura des idées narratives et créatives il n’y a guère de raisons de s’inquiéter.
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