Après la récente sortie de son dernier livre, Paris dans tous ses siècles, il nous faut revenir sur un autre livre de son auteur, Charles Dantzig : À propos des chefs-d'œuvre. Il y expose sa connaissance de l’art proustien, sa culture littéraire, et surtout sa vision. Durant les 250 pages du livre, Dantzig évoquera sa définition du chef-d'œuvre – expression très mal utilisée aujourd’hui, rendue trop banale – sous la forme de petites affirmations, thèses comme l’eurent fait Guy Debord dans la Société du spectacle ou Robert Bresson dans ses Notes sur le cinématographe. Mais cessons de comparer l’incomparable, sur le fond du moins.
À propos des chefs-d'œuvre entraîne à penser l’objet “livre” comme un objet qui va plus loin que l’encre noire sur son papier blanc. Cependant, Charles Dantzig ne donne pas de réelle définition du chef-d'œuvre, il n’en donne qu’une tentative (une thèse du livre porte le nom de tentative de définition). Pour l’auteur, un chef-d'œuvre équivaudrait à un livre exceptionnel qui ne se résume qu’à lui, il finit même sa définition – en tout cas sa tentative – sur une certaine excitation qui résume plutôt bien l’enthousiasme que Dantzig accorde aux livres, ressenti tout le long du livre.
“Chef-d'œuvre : n.m. Le chef-d'œuvre littéraire est un livre exceptionnel qui crée son propre critère et que l’on ne peut estimer que selon lui. Expression la plus audacieuse d’une personnalité, chaque chef-d'œuvre est unique. Il n’y a pas de sujet au chef-d'œuvre que la forme même de ce chef-d'œuvre. le chef-d'œuvre est la création la plus exaltante de l’humanité. On peut remplacer ce mot par « grande œuvre »”
Les références se multiplient au fur et à mesure que la plume de Charles Dantzig vogue sur son papier : passant de Flaubert, à Ming Jiao Zhong Ren, à Baudelaire – dont il se permet une critique – ou encore à James Joyce, et j’en passe. Le livre ne veut alors pas être une seule ébauche à la rédaction d’une définition de chef-d'oeuvre : le livre conseille et offre un catalogue d’oeuvres que l’auteur a découverts seul, et qu’il tient alors à nous évoquer. L’objet livre devient alors le lien qui nous unie à l’auteur. D’après ce dernier, l’aspect “chef d'oeuvresque” de l'Ulysse de James Joyce se fait dans sa forme inédite, mais aussi son non-sens de la disproportion. Chaque thème que lance Ulysse dans son œuvre est
un thème qui peut être réutilisé, étudié, et il y en a beaucoup… à la simple vue des 200 pages recensant les notes de bas de page… Le fameux chef-d'œuvre illisible. On peut le qualifier de la même manière que Dantzig qualifie Finnegans Wake : de “livre infini”. Cette caractéristique donne alors au livre, et même, on peut le dire : à l’auteur, l’étiquette de “chef-d'œuvre”.
Finalement, il n’y a pas de recette au chef-d'œuvre : il existe s’il a lieu d’exister. Le chef-d'œuvre peut faire d’un homme un chef-d'œuvre.
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