Il y a cinq ans que Jonas Mekas mourrait. Il laissa derrière lui une filmographie merveilleuse, et ce livre : le Movie Journal, que nous avons la chance, grâce aux Editions Marest de pouvoir lire en France. Jonas Mekas n’est pas seulement ce grand cinéaste, auteur de As I Was Moving Ahead Occasionally I Saw Brief Glimpses of Beauty, de Réminiscences d'un voyage en Lituanie, de Walden.., il est aussi un journaliste cinématographique important des Etats-Unis. Sa plume se fait connaître dans le journal Village Voice dont l’auteur parle dans l’Avant-propos de son journal.
Le Movie Journal est une véritable ode, au cinéma tout d’abord, mais aussi aux salles de cinéma. Chaque page, chaque texte que nous lisons, ou que vous lirez au travers de ce journal constitue et développe la pensée de Mekas, qui prône et vante constamment – et à raison – l’importance des salles obscures, mais qui ne se prive pas de critiquer. Pourtant, contrairement à ce que nous penserons, Jonas Mekas ne se suffit pas aux films puisqu’il va incendier le cinéma hollywoodien à de nombreuses reprises mais aussi condamner fermement des critiques du New York Daily le 11 octobre 1962. Ce dernier article se termine d’ailleurs dans un élan poétique mêlé à une véritable rage : « Je voudrais seulement le crier [les problèmes prétentieux des critiques], pour me vider la tête, puis retourner dans les collines du Vermont et regarder les feuilles tomber ». Les attaques sont directes, et parfois cyniques, notamment dans le texte écrit le 28 mars 1963 : Six notes sur les façons d’améliorer le cinéma commercial dans lequel Mekas imagine notamment comment faire exploser tout le matériel d’Hollywood, ou bien comment détruire la pellicule du film L’année dernière à Marienbad.
Les interviews sont un moyen pour Mekas de s’entretenir avec des proches du cinéma (acteurs, réalisateurs…) qu’il tente de mettre en avant, notamment avec sa coopérative The Film-Maker’s Cooperative qui lui permet de diffuser du cinéma indépendant – et parfois en allant à l’encontre des censures, comme ce fut le cas pour Flaming Creatures. Parmi ces cinéastes, nous comptons Markopoulos, Naomi Levine, l’assistant de Jean Genet lors du tournage d’Un chant d’amour (le nom de l’assistant sera tu à cause des censures que le film en question a subi). Un critique des Cahiers du Cinéma a même été interviewé, Louis Marcerolles, cette fois, non pour le mettre en avant mais pour critiquer sa vision du cinéma américain et surtout sa vision du cinéma qui se repose ici – donc dans cette interview du 5 mai 1966 – sur le budget d’un film. S’opposera alors à cette vision, celles de Shirley Clarke, Lionel Rogosin, Louis Brigante et Jonas Mekas qui préféreront une vision basée sur l’intérêt du film, sa portée : en somme l’essence même du film.
Jonas Mekas, nous le comprenons à travers les pages de son Movie Journal ne se déclare absolument pas comme étant un critique, bien au contraire. Il faudrait selon lui lancer des pavés aux critiques, les fusiller même. A travers tous les reproches qu’il écrit au fur et à mesure des années au Village Voice (critique du cinéma commercial, d’Hollywood, des études cinématographiques universitaires…), ceux à l’encontre des critiques semblent exténuer par-dessus tout notre cinéaste-journaliste. Ce dernier écrit le 6 février 1969 un article sur le cinéaste américain George Kuchar et les premiers mots sont : « Je ne suis pas un critique de cinéma ». Clair, net, précis. Nous avions sûrement compris cela dans les pages précédentes mais ici le cinéaste le revendique : il ne veut pas être considéré comme tel. L’année 1969 est pour Mekas une année où la question du Que suis-je ? et inversement Que ne suis-je pas ? semble le troubler. Finalement c’est une question fort intéressante. Il réalise, il écrit – et ne critique pas, ne me faites pas dire ce que je ne dis point –, il protège, il lutte. Jonas Mekas fait tout mais surtout, avant tout, rend service au cinéma. Il se proclame comme étant un véritable « touche-à-tout » le 29 mai 1969, par opposition au « penseur » – pour le citer. Il n’a pas tort, et ce serait stupide de le contredire tant il se connaît, tant il aime analyser et s’analyser. Pour lui, les critiques ne seraient pervertis que par l’argent, par le cinéma commercial – aussi vivement critiqué par Jonas Mekas –, c’est bien ce qu’il écrit le 20 mars 1969 dans son article Pourquoi j’écris cette chronique. Un titre assez brouillon, à l’image de ce que le journaliste ressent lors de son écriture ; il écrit ne pas savoir où aller à mesure que ses mains tâtent sa machine à écrire. En découle pourtant une nouvelle fois l’élaboration d’une violente réprimande à l’encontre des critiques qu’il caractérise comme des « esclaves de l’argent ».
A travers ce Movie Journal donc, nous comprenons Jonas Mekas, ses ambitions, ses motivations, ses intentions mais aussi ses doutes et ses peurs vis-à-vis du cinéma expérimental, des censures gouvernementales.
Movie Journal, Jonas Mekas : disponible aux Éditions Marest ICI
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