Le petit Pierre, comme chaque semaine, est à sa leçon de piano. Et comme chaque semaine, il fait des fausses notes et affirme ne pas connaître la signification de Moderato Cantabile (modéré et chantant), le nom de la mélodie qu’il joue. Soudain, un cri retentit dans le café d’en dessous, interrompant la musique. Le petit Pierre et sa mère, Anne Desbarèdes (Jeanne Moreau), descendent. Ils trouvent alors un homme couché sur le corps de sa femme, morte. Chauvin (Jean-Paul Belmondo), un ouvrier dans la foule, leur annonce que l’homme vient de tuer sa femme. Une romance commence alors entre Chauvin et Anne.
Un cri. Une douleur. Un amour qui finit dans la tragédie. Voilà ce qu’il aura fallu à Anne, bourgeoise ennuyée par sa vie paisible, pour sortir de sa solitude et plonger dans une relation amoureuse, intense, avec Chauvin. Mais, ne sachant pas comment contrôler tout ce désir qui bout en elle, leur relation passe à travers cette histoire tragique. À chaque fois qu’ils se rencontrent, le même sujet de discussion revient : pourquoi cet homme, qui avait pourtant l’air d’aimer sa femme plus que tout, l’a-t-il tuée ? De l’autre côté, Chauvin – aussi enfermé dans la solitude et la monotonie de sa vie d’ouvrier – invente plein de réponses différentes. Au final, on ne connaîtra jamais la réponse définitive à ce drame étrange. Plusieurs fois par semaine, Anne prétexte les leçons de piano de son fils et des promenades pour retrouver Chauvin. Sauf qu’ici, le film s’écarte quelque peu du roman. Le film de Peter Brooks a plusieurs différences avec le roman, et ce, malgré le fait que Duras soit présente pour l’adaptation. Le livre amenait ses personnages au même endroit, permettant ainsi au lecteur de comprendre l’ambiance et la relation charnelle entre les deux protagonistes. Le film varie les paysages et emmène ses personnages dans des endroits isolés. Les plans, à travers des absences, des silences ou des lieux retirés, mettent en valeur l’intensité de la relation et le drame sous-jacent.
La relation entre Chauvin et Anne a une certaine manière de s’exprimer. Les dialogues sont courts et pleins de sous-entendus. Les personnages se parlent plus par le silence que par leurs paroles. Ici, le film prend toute sa valeur. Toute l’intensité de leur relation se retrouve réduite à des regards, des gestes doux qui deviennent soudainement brusques. Les jeux subtils de Moreau et Belmondo sont parfaits et arrivent en un instant à transmettre toute l’intensité de cette relation. La relation entre Anne et Chauvin passe par la tragédie du début du film. Ainsi, la relation débute dans un drame où s’est exprimé la violence des sentiments. Cette violence, bien présente dans la relation, n’est pourtant jamais directement exprimée entre Anne et Chauvin.
Si le silence et la violence sont si pertinents, c’est également car nous savons pertinemment que cet amour est impossible. Une grande différence de classes sociales s’observe entre les personnages. Anne est la femme du patron de Chauvin ! La jeune femme, enfermée dans sa vie bourgeoise, n’arrivera jamais à s’enfuir et laisser derrière elle sa vie mais aussi son fils. La relation se construit donc dans le drame, comme elle avait commencé. Le vide, déjà très présent dans le livre, participe avec une sensation pesante et continue. À travers de longs silences, des paysages dévastés, parfois surréels et tout le temps quasiment vides, Brooks bâtit une esthétique du vide qui achève de rendre l’histoire douloureuse.
Soudain, dans ce silence et ce vide, c’est un autre bruit qui surgit : la musique. À l’image du titre, la musique thème est Moderato Cantabile de Diabelli. Malgré une présentation d’abord joyeuse et associée à l’image de l’enfance avec le petit Pierre, la musique acquiert au fur et à mesure de ses utilisations une dimension mélancolique surprenante. L’appartenance de la musique connaît une transition : les leçons de piano de Pierre deviennent désormais un prétexte pour aller voir Chauvin. La sonatine s’associe donc à la romance et au drame qui se joue en arrière-plan.
La fin, sommet du film, permet de donner tout le sens à l’histoire. Tragique, elle finit d’emmener le spectateur dans une mélancolie infinie.
Moderato Cantabile est un film sorti en 1960. Réalisé par le metteur en scène britannique Peter Brooks et adapté du roman éponyme écrit par Marguerite Duras – qui adapte elle-même son livre à l’écran en tant que scénariste et dialoguiste. Le film appartient au mouvement de la Nouvelle Vague, comme le roman appartenait au Nouveau Roman. Il a rapporté à Jeanne Moreau le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes de 1960. Moderato Cantabile est disponible en streaming avec l’abonnement Canal+ et en location sur les sites dédiés.
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