Un écran noir rapide, puis un homme nous apparaît, assis sur son fauteuil. C’est bien Emmanuel que nous voyons. En août 1993, il subit un abus sexuel de la part du prêtre Hubert. Durant des années, Emmanuel vit avec ce traumatisme enfoui en lui, presque secret, sans soutien, et c’est le 2 décembre 2021, après avoir reçu une lettre de ce même prêtre, qu’il se rend à la gendarmerie pour y effectuer une déposition.
C’est cette déposition qui sert de fil conducteur à tout le film de Claudia Marschal, documentariste qui signe ici son premier long-métrage pour le cinéma. La parole prend alors une place importante dans ce film puisqu’il permet à Emmanuel de se livrer, de sortir du silence qui le tiraille depuis toutes ces années.
Force est de constater que La Déposition prouve d’un certain courage : celui de parler, de se livrer et surtout de se confronter aux regards extérieurs. C’est ce que dit de multiples fois Emmanuel dans le film, qui affirme avoir peur du regard des autres. Pourtant ici la parole est l’unique document qui pourrait servir à l’enquête : mais alors que serait-ce s’il se trouve trop fragile, trop faible pour faire tomber le prêtre Hubert ? C’est bien la peur qui réside de ce film, et l’horreur de celui-ci demeure dans cette phrase de fin, écrite de toutes lettres (accablantes) : « Le curé Hubert nie les faits qui lui sont reprochés. Il exerce toujours dans son diocèse ».
Les figures maternelles et paternelles sont aussi un élément clé de ce film. Les parents d’Emmanuel, restaurateurs, étaient beaucoup pris dans leur métier qui leur demandait beaucoup, au point de délaisser leurs trois enfants. Emmanuel trouve alors une figure rassurante chez le prêtre Hubert, avant cette fameuse journée pluvieuse d’août 1993. Cette figure change alors pour laisser place à un véritable traumatisme. Emmanuel se tourne alors vers ses parents qui ne savent que faire et préfèrent laisser l’histoire se noyer dans le temps ; pourtant le jeune garçon grandit mais jamais n’oublie. Claudia Marschal, sa cousine, profite donc de sa caméra et de ses études cinématographiques pour écouter Emmanuel. Un récit épouvantable et tragique naît alors de cette prise de parole qui prend trait sous une voix off à certains moments, parfois face caméra, ou bien directement face à son père, Robert. Cette scène d’ailleurs, que Claudia Marschal filme en un sublime plan séquence, met le père d’Emmanuel au pied du mur en quelque sorte, face à son fils, privé de son droit à la parole à la demande d’Emmanuel. Robert assiste en silence à la conversation entre l’archevêque de Strasbourg et son fils, les mots sont forts, et l’histoire toujours aussi bouleversante. Le plan séquence de la cinéaste permet à cette scène de filmer cet épisode de la manière la plus naturelle possible ; Robert se montre de la plus profonde attention, n’hésite pas à rapprocher constamment les hauts parleurs pour ne pas perdre un seul mot. Évidemment, cela diffère de tout ce qu’Emmanuel avait pu nous dire des réactions de son père vis-à-vis de cette affaire, lui qui aujourd’hui est prêt – peut-être tard certes, mais il n’est jamais trop tard pour ce genre d’histoire tragique – à se retourner vers le passé et l’accepter.
La déposition, film de Claudia Marschal avec Emmanuel Siess, 2024, documentaire, Shellac
Comments