Il est généralement admis que Le Parrain 3 est le moins bon de la trilogie. Il y a un défaut, moins mis en avant que ceux habituellement mentionnés et justifie l’imperfection de ce troisième volet. Une tentation à laquelle se laisse aller Francis Ford Coppola et son coscénariste Mario Puzo alors qu'ils l'avaient savamment évité dans les deux films précédents: celle du sentimentalisme.
Le sentimentalisme c'est quoi ?
L'émotion et le sentimentalisme sont deux notions bien distinctes et pourtant si proches dans le ressenti de tout un chacun. En tant que spectateur, nous faisons difficilement la différence entre les deux. Ce qui nous touche est forcément catégorisé comme de l'émotion dès qu'une scène dans un film va résonner intimement en nous. Beaucoup de cinéastes attachent énormément d’importance à cette distinction. Mais comment définir le sentimentalisme ? James Gray nous l’explique dans le livre d'entretien qui lui est consacré :
“Faire du sentimental, c'est lorsqu'on appuie sur un bouton pour que le public réagisse au film de la façon la plus primaire : les émotions sont exagérées, mais l'artiste ne cherche pas à ce que le spectateur y croit, parce que lui-même n'y croit pas. Tout est construit et artificiel. L'émotionnel, c'est lorsque l'artiste y croit.”
À la question, "Comment peut-on le savoir ?", le réalisateur répond ceci:
“Soit il y a un certain degré d'investissement émotionnel dans le travail, soit il n'y en a pas. Ce qui est sentimental pour vous peut-être émotionnel pour moi, et vice-versa. Mais ce n'est pas seulement dans le regard du spectateur, c'est aussi une question de scénario. Je pense que ce qui définit le sentimental, c'est le désir de se faire aimer du spectateur à travers l'œuvre d'art - l'émotion n'est pas créée organiquement à partir de la situation montrée dans le film. Il s'agit plutôt de faire naître une émotion facile. […]Le sentimentalisme, c'est donner au public ce qu'il souhaite”
Source : Conversations avec James Gray écrit par Jordan Mintzer (2012)
La nostalgie, l'un des outils du sentimentalisme
Si nous reprenons les mots de James Gray, nous constatons que Coppola se laisse par moments aller aux "émotions faciles" dans Le Parrain 3. La scène la plus significative est celle dans laquelle Vincent montre à Mary la première affaire familiale créée par leur grand-père Vito : Genco Huile d'Olive. Après un bref échange avec deux vieilles dames (coucou Catherine Scorsese), une discussion s'ensuit durant laquelle il lui raconte l'histoire de leurs deux pères. Lors de cette séquence, en évoquant Sonny, Coppola fait appelle à la nostalgie de Vincent, mais surtout à la nôtre vis-à-vis du premier Parrain. Vincent parle de Sonny comme d'une légende urbaine, "le prince de la cité" qu'il n'a pas eu le temps de connaître et d'une époque qu'il n'a pas non plus connue. La note d'intention de Coppola est claire : créer de l'émotion ou plus exactement du sentimentalisme pour nous attendrir et faire fonctionner la séquence. L'utilisation de la musique au moment de l'évocation de Sonny est la touche essentielle pour être certain de son effet, et ça fonctionne parfaitement !
La nostalgie est un outil très efficace pour conquérir le spectateur, lui donner ce qu'il veut et non ce dont il a forcément besoin. Ce n'est pas pour rien qu'aujourd'hui Hollywood produit de nombreux sequel et spin off d'œuvres qui ont été réalisé il y a 40 ans. Comme Vincent, le but étant de nous ramener à une époque qui nous paraissait bénie. Pourtant, cette scène n'est pas inutile, elle nous permet de comprendre en sous-texte l'idéalisation de Vincent pour le milieu du crime à travers les figures de Vito, Sonny et Michael et ceci explique son envie d'en faire partie.
Une autre séquence arrive aléatoirement dans le film pour nous renvoyer à nos souvenirs nostalgiques. La l'effet est beaucoup moins appuyé que sur la scène décrite précédemment, mais l'idée est toujours de nous rappeler de manière un peu forcée au Parrain 2 cette fois-ci. C'est ce moment où Michael montre le dessin qu'Anthony lui a fait étant petit au début du Parrain 2. Cette séquence aurait dû être raccordée juste avant la scène dans laquelle Michael interdit à Mary de revoir Vincent (on voit Anthony tenir son dessin.). Pourtant, elle est intégrée de manière abrupte dans le film, sans réelle cohérence dans le montage. Dans la version originale, et la director’s cut, elle fait suite à la préparation de Mosca, le tueur à gage Sicilien, soit bien après le passage avec Michael et ses enfants. En plus de ne pas avoir d'utilité narrative (on nous a déjà montré que Michael et Anthony ont fini par se réconcilier.), ni de logique dans la chronologie de l’histoire, ce moment entre Michael et Anthony n'a pour unique but de toucher la corde sensible du spectateur.
La subtilité, vecteur d'intelligence et d'émotion
En revenant à la définition donnée par Gray, nous pouvons nous demander si ces partis-pris étaient le signe d’un degré d’investissement émotionnel amoindri de la part de Coppola, au point d’avoir recours au sentimentalisme ? En ce qui concerne Vincent, ne pouvait-il pas nous faire comprendre de manière moins éloquente les motivations de son personnage ?Les rappels intelligemment amenés aux deux premières parties du Parrain ne manquent pas. Par exemple, dans la caractérisation de Vincent, le personnage est la symbiose des trois fils de Vito. Il peut-être colérique comme Sonny, sensible comme Fredo et froid comme Michael. De même l’interprétation et particulièrement la gestuelle d'Andy Garcia nous rappellent Vito et Sonny. Ce sont des idées beaucoup plus ingénieuses qui demandent au spectateur une attention particulière pour noter ces détails. Cette même attention est mise au défi avec les répliques, dont certaines sont reprises du Parrain. On nous ramène à d'anciennes références, mais juste le temps de quelques secondes.
Lorsque Francis Ford Coppola voulait faire appel au passé pour servir son histoire, ça donnait la dernière séquence du Parrain 2. Cet ultime flashback n'était pas gratuit, il intervenait pour renchérir la tragédie de Michael. Quels que soient ses choix, passés, présents ou futurs, Michael était destiné à finir en marge, et complètement seul.
L’art de la manipulation
Le Parrain 3 jongle entre l'émotion et le sentimentalisme, heureusement pour lui, les grandes scènes d'émotions pures, prévalent sur les deux ou trois séquences dans lesquelles il se laisse aller au sentimentalisme inutile. Le cinéma est l'art de la manipulation, à partir du moment où le spectateur est ému, il se pose rarement la question de comment a été provoqué l'émotion qu'il a ressenti. Est-ce une manipulation avec des intentions sincères de la part du réalisateur pour nous transmettre un sentiment vrai et durable ? Où bien une manipulation grotesque pour déclencher en nous du sentimentalisme, une émotion créée artificiellement ? Il est important que nous puissions prendre du recul sur ce que nous voyons et sur ce que nous aimons pour savoir si le cinéaste appuie sur la corde sensible par facilité, à défaut de sincérité créatrice. Certes le cinéma, c'est l'art de manipuler cependant, une fois que la supercherie est mise à jour, si le réalisateur a trop fait preuve de sournoiserie, le public le lui pardonnera difficilement.
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